Interview de Dominique Dubosc

Etre là est une des conditions pour rendre vrai. La présence permet de témoigner. Au début de Réminiscences d’un voyage en Palestine, vous évoquez le projet du voyage (accompagner votre ami Daniel Maja, « missionné » pour superviser des classes de dessin destinées à former des illustrateurs palestiniens), en ajoutant que le vrai projet c’était peut-être tout simplement « d’être là ».

Deux ans après Palestine Palestine, en juillet 2002, le hasard, toujours, se présente sous la forme de la « mission » dont vous parlez. C’était un vieux projet du Consulat de France à Jérusalem et du Ministère de la Culture palestinien – qui n’avait aucune chance d’aboutir dans les circonstances, puisque les grandes villes palestiniennes étaient sous couvre-feu total…
Je me dis, il y a peut-être un film à faire à partir de la combinaison de deux regards : celui de Maja et le mien.
Pas évident, parce que Maja dessine toujours après coup, je ne dirais même pas de mémoire, mais « d’imagination », en ramenant tout dans son univers, avec son bestiaire, etc… Et moi, j’étais bien obligé de filmer « sur le motif ».
Comment allaient s’articuler ces deux séries d’images ? La seule chose que je savais a priori, c’est qu’il fallait que je filme de façon très picturale, que je tende vers « la valeur idéale des choses ». Mais je n’aurais jamais réussi sans cette espèce d’émulation qui m’a saisi, poussé au cul par Maja, qui voyait encore plus de choses que moi !
Au total, je suis revenu avec des images quasiment mentales, des sortes d’impressions durables, qui fonctionnent comme des souvenirs. Il y a dans ces images une prégnance particulière. Par exemple, la fenêtre sur l’aube bleue du port de Gaza, où tout est bleu. C’est comme une image de rêve ou de souvenir : il n’y a plus que ce bleu. J’ai eu beaucoup d’images comme ça – et souvent associées à des couleurs.

La robe blanche de la petite fille…

Voilà… C’est le jour même de notre arrivée à Gaza, dans notre hôtel. On débarque dans un mariage ! Je vois cette petite fille qui s’échappe pour filer vers la plage dans sa robe blanche, comme un personnage de Fellini. Je la suis… et je la filme en train de faire la belle devant deux petits garçons qui passent. C’est presque un cliché, mais il faut se risquer… Je crois que cette robe blanche est aussi un détail qui fait toucher du doigt… plein de choses.

Le commentaire prend position du côté pictural, sur les couleurs notamment, comme si elles étaient le premier support des réminiscences.

Oui, c’est d’abord par les couleurs que le voyage me revient. Et que j’ai pu tisser mes images avec les dessins que Maja a réalisés par la suite. J’ajoute qu’il est apparu très vite nécessaire d’approfondir ces images par le son. Un son énormément travaillé.
Pour accompagner les plans de Khan Younis en ruines, par exemple, il y a un bruit complexe de tuyaux, de moteur d’avion en vol, de chuintement de poêle, de fil de fer, etc. Et tous ces sons se résolvent finalement dans un bruit très bizarre de vent dans une cage d’escalier. Il y a comme une histoire sonore qui se développe, qui nous mène d’une image à l’autre, qui est presque le fil conducteur du film. C’est un travail passionnant – et très amusant à faire.

J’aimerais ajouter quelque chose à propos de la couleur particulière que donne votre voix et votre ton à vos films. Est-ce un effet que vous maîtrisez ? C’est une diction particulière que l’on retrouve à travers vos incipit, en tout cas ceux deCélébrations et de Réminiscences.

Pour Réminiscences, mais pour Célébrations aussi, il fallait que cette voix soit décalée. C’est une voix qui est à la fois présente et distante. Il y a, si vous voulez, un lointain palestinien et un lointain intérieur. Il fallait donc un ton particulier… que je ne maîtrise pas du tout. J’ai toujours un mal de chien à m’enregistrer !

Il y a beaucoup de noirs dans Réminiscences.

L’utilisation systématique des noirs – il y en a une cinquantaine dans le film, qui vont de deux à vingt secondes – remplit différentes fonction : de séparation de rythme, de « rafraîchissement » de l’image. C’est très important pour des images qui tendent vers cette valeur idéale dont parlait Conrad. Regardez ce que fait Bresson dans Le Journal d’un curé de campagne – et d’autres films : il y a une ouverture au noir au début de chaque plan et un fondu au noir à la fin de chaque plan ! Comme ça, même si chaque plan est indissolublement lié au précédent et au suivant, on l’aborde avec un maximum de fraîcheur.