Intervention à la BN

NOTES pour mon intervention à la BN avec Laure Pitti

A l’origine du film Dossier Penarroya : les deux visages du trust, il y a un dossier d’informations très complet, rédigé au début de janvier 1972 par une équipe des Cahiers de Mai (spécialement constituée en prévision de la grève qui apparaissait de plus en plus inévitable) et qui s’appelait simplement le Dossier Penarroya.

1 – Le Dossier Penarroya

Le Dossier Penarroya est en quelque sorte la version longue, détaillée, argumentée, du cahier de revendications déposé simultanément par les travailleurs des trois usines d’affinage de la Société Minière et Métallurgique de Penarroya (SMMP) en décembre 1971.

Il décrit en quatre parties (salaires, santé, travail, logement) les conditions de vie misérables des ouvriers (immigrés pour la plupart) – et raconte, dans une cinquième partie, la façon dont ils se sont organisés, c’est-à-dire unis.

De l’un à l’autre texte, ce n’est pas tant le contenu qui change, que le destinataire : la direction du trust pour le Cahier – le public le plus large, au cas où la grève serait nécessaire, pour le Dossier.

Il faut surtout comprendre que l’un comme l’autre s’inscrit pleinement dans le cadre des nouvelles luttes et des nouvelles pratiques de lutte de la fin des années 60 et du début des années 70, c’est-à-dire qu’ils constituent une revendication vitale globale : salaires, santé, logement, conditions de travail n’étaient pas séparés, comme des choses à vendre au détail, mais au contraire intégrés, rattachés à l’individu total.

Revendiquer sa vie, et non plus seulement une augmentation de salaire en échange de sa vie, c’était remettre en cause toute la conception capitaliste de la société.

Il y a là une dimension révolutionnaire, mot très galvaudé à l’époque, mais qui me semble ici justifié.

Le film, qui va reprendre le contenu et surtout le “dispositif” du Dossier Penarroya, n’aura pas la même portée (j’y reviendrai) : ce sera surtout une attaque frontale de l’image de marque moderniste de Penarroya, opposée à la réalité sordide des usines.

2 – Comment est-on passé du Dossier au film ?

Les priorités de la lutte (discussion avec Daniel Anselme à la Butte aux Cailles vers la mi-janvier)

Au milieu des multiples tâches à accomplir en vue de la grève (prévue pour le début février), ma proposition de transformer le Dossier Penarroya en film me vaut une leçon cinglante de la part de Daniel : dans les luttes il y a des priorités ! Sous-entendu ou bien entendu : si tu ne le comprends pas, tu es idiot (c’est ainsi que j’ai fait mon apprentissage de militant aux Cahiers de Mai, où par comparaison aux autres, je me trouvais en effet particulièrement idiot).

L’importance de l’image de marque dans le nouveau capitalisme financier

Quand les travailleurs, qui ont longuement élaboré leur stratégie, se rendent compte tardivement (dans la nuit du 24 au 25 janvier 1972 si mes souvenirs sont bons) qu’un outil ou une “arme” leur serait nécessaire pour dénoncer l’image de marque mensongère du trust Penarroya, Daniel se souvient de ma proposition… qui devient prioritaire.

Il est clair en même temps que cette “arme”, commanditée par les travailleurs, sera utilisée par eux-mêmes ou sous leur contrôle, dans le cadre de leur stratégie de lutte. C’est en ce sens que nous avons tout de suite parlé de film inséré.

Que le film soit réalisé par des spécialistes (des techniciens), cela va de soi : à chacun son métier. La fabrication du film, dans des délais très courts (il devait être terminé, livré, le 8 février, veille de la grève, au plus tard), est donc confiée à Anselme et à moi.

3 – Comment le film a-t-il été diffusé ?

La diffusion d’un film “inséré” est également insérée, c’est-à-dire prise en charge par les travailleurs. Il n’y a donc pas de question ou de problème de diffusion : le film sera montré dans les meetings prévus de longue date, et repris par tout le mouvement de soutien.

Il s’agira seulement de former les travailleurs au chargement d’un projecteur 16mm. Ce sera également mon travail.

4 – Le film a-t-il rempli ses objectifs ?

Sans doute, si l’on ne considère que les résultats immédiats.

La direction de Penarroya a été surprise : prise en défaut de communication.

Inversement, le public a apprécié à la fois le sérieux du propos et le ton polémique du commentaire de Daniel et de mon “montage d’attractions”. *

Les travailleurs ont souvent dit (et encore récemment au cours d’une réunion à Lyon) que le film les avait aidés à gagner.

Mais, avons-nous bien compris ou rendu la nature globale des revendications ouvrières, c’est-à-dire leur exigence d’être considérés comme des hommes dans toutes les dimensions de leur vie ?

Sans doute le film met sur le même plan économie, santé, conditions de travail, logement, mais par la force des choses (c’est-à-dire, de ce “dispositif” en forme de dossier), il distingue aussi ces différents plans de la vie au lieu de les intégrer.

Un an plus tard, pendant le conflit LIP (et surtout quand j’ai réalisé L’Affaire LIP), j’ai essayé de mêler pédagogie et figure humaine, certains critiques l’ont remarqué. Je n’ai pas été pleinement convaincu par le résultat.

Beaucoup plus tard (en Palestine pendant le seconde Intifada), je me suis efforcé de mettre véritablement au premier plan la dimension humaine, “au détriment” (m’a-t-on reproché) de l’exposé de la situation et de ses enjeux.

Si j’ai été plutôt satisfait cette fois-là (notamment pour Réminiscences d’un voyage en Palestine), il n’en a pas été de même de la direction d’ARTE, qui m’a reproché de “ne pas être à la hauteur de mon sujet”. Je l’ai pris évidemment pour un compliment.

Dominique Dubosc

* Je me réfère à la fameuse théorie de S.M. Eisenstein… dans un sens très large. Nous ne pensions pas refaire le Cuirassé Potemkine.