Les films militants (Entretien avec Dominique Dubosc)

Original Article: La lettre du cinema, OCT, 2004

2. Les films «insérés»

A partir des années 70, une grande partie de votre travail est consacrée à des films militants.

Une grande partie ? non. A l’époque, je pensais comme Maïakovski qu’il est impossible de mélanger l’art et la politique. C’est l’un ou l’autre. Je faisais de la politique, pas du cinéma. On peut sans doute dire qu’il y a une dimension politique dans l’art, ou dans certaines œuvres d’art, mais pas l’inverse : les films militants, puisque vous en parlez, n’ont pas grand chose à voir avec le cinéma en tant qu’art. En revanche, je crois qu’ils ont tout à voir avec la politique, c’est-à-dire qu’ils doivent être rigoureusement insérésdans une action politique. C’est du moins ma définition du film militant.

Ce qui veut dire que vous étiez vous-même… inséré. Comment ?

En revenant en France en 1970, ma première préoccupation a été de savoir, de comprendre, ce qui s’était passé en mai 68. Je tombais évidemment mal : la surprise passée chacun, à droite et à gauche, s’est efforcé de récupérer l’événement, de le faire entrer dans ses vieux schémas intellectuels. Alors que, précisément, mai 68 est avant tout une surprise – et que c’est sans doute ça qu’il faudrait arriver à penser. Mais on ne va pas le faire maintenant.

Bref, je cherche, je vais voir des copains, depuis le PC jusqu’aux maos, et là, j’ai été effaré : à la fois par le discours «raisonnable» du PC, qui réduisait pratiquement l’événement à rien (puisqu’il était «inorganisé»), et par le délire gauchiste, ce que Victor Serge appelait en d’autres temps la «phrase», qui prêchait la Révolution avec un grand R (j’ai même rencontré des gens qui parlaient de Boulogne-Billancourt-zone-libérée !) et qui réduisait lui aussi mai 68 à rien.

Je ne veux pas citer de noms, mais je vous parle de gens qui avaient une certaine notoriété à l’époque, un peu comme nos intellectuels médiatiques aujourd’hui…

Et que vous trouviez… légers ?

Disons-le comme ça. (il se retient visiblement d’en dire plus)

Donc… j’avais fini par ne plus savoir de quel côté me tourner quand, une fois de plus, la chance est intervenue : en prenant l’ascenseur au Centre Montsouris où j’étais allé voir une vague connaissance, je me trompe de bouton et je tombe, au sous-sol, dans une réunion des Cahiers de Mai. Et je découvre, enfin, des gens qui ne discouraient pas, qui ne citaient pas Marx à tout bout de champ, mais qui avaient fait une analyse concrète des besoins du mouvement ouvrier – en gros : besoins d’informations et de liaisons, mal ou insuffisamment pris en compte par les syndicats – et qui s’y étaient collés.

Je ne vais pas parler ici des Cahiers de Mai, on y serait encore demain. Disons seulement qu’ils se rattachaient à ce qu’on appelle quelquefois «l’école de la pratique», c’est-à-dire à ce courant de pensée qui n’est pas contre la théorie – il en faut – mais qui fait très largement place à l’expérience, à tout ce qui se pense au plus près des conditions de travail et des difficultés de la vie en général, et en particulier, dans ces moments privilégiés que sont les luttes.

Le lendemain de cette réunion, je faisais partie des Cahiers de Mai et j’y suis resté jusqu’à la dissolution du groupe, en 74. Ce qui fait quand même quatre ans de militantisme à plein temps.

C’est donc dans ce groupe que vous avez fait vos films militants ?

Vous voyez comme le langage est piégeant : je vous ai dit que je ne croyais pas que les films militants soient du cinéma : ils n’ont donc pas d’ auteur, on ne peut pas parler de «mes» films militants. Je dirais plutôt que ces films – ceux dont je parle, les films insérés – sont réalisés par des maîtres d’œuvre ou des techniciens spécialisés, capables de fabriquer, à la commande, et surtout à temps, l’outil ou l’arme dont tel ou tel mouvement, une grève par exemple, a besoin.

C’est pour ça que vous n’avez jamais signé les films que vous avez fait à Penarroya ou à LIP ?

Voilà.

Alors, quelle a été la «commande» à Penarroya ?

Penarroya est un vrai cas d’école… LIP aussi d’ailleurs.

En janvier 1972  les trois usines d’affinage du trust Penarroya (second producteur mondial de plomb), après toute une année de contacts directs, de montée en puissance des sections syndicales, d’élaboration d’un cahier de revendications très argumenté, voyant que la direction refuse toujours d’ouvrir des négociations, se prépare à une grève commune pour le 6 février.

Les Cahiers de Mai, qui ont joué un rôle actif pour faciliter les échanges de communications entre les différentes usines du trust, constituent une petite équipe de militants chargée d’accompagner la grève, si grève il y a. Ces militants sont majoritairement recrutés parmi les camarades du «groupe métaux» (les Cahiers de Maiétaient organisés, comme les syndicats, par industries : métaux, textile, services, cheminots…). Comme je faisais partie du groupe textile, je ne participe pas à l’équipe Penarroya, mais je vais leur rendre visite à l’occasion.

C’est ainsi que je vois tout ce qui est en train de se mettre en place en vue de la grève : le ravitaillement (assuré par différentes sections du Centre National des Jeunes Agriculteurs), les manifestations de soutien, les concerts… Et surtout, une très large popularisation, basée sur un gros dossier d’information, expliquant, prouvant, justifiant toutes les revendications des travailleurs.

Le 20 janvier – je me souviens encore de la date – je propose à Daniel Anselme (fondateur et animateur des Cahiers de Mai) de faire un petit film à partir du fameux Dossier Penarroya…

C’est le titre du film, je crois…

Pas tout à fait : Dossier Penarroya : les deux visages du trust. Vous allez voir pourquoi.

Je propose donc d’illustrer, comme dans une vulgaire émission de télévision, les cinq parties du Dossier : 1) Analyse économique du trust 2) Santé, c’est-à-dire problème du saturnisme 3) Logement 4)  Conditions de travail 5) Organisation.

Et je m’entends répondre, assez sèchement : dans les luttes, il y a des priorités. Le film que tu proposes n’en est pas une, car il prendrait trop de forces et ne ferait que doubler le Dossier déjà existant. Rompez.

Je vais donc me coucher, et je suis réveillé au milieu de la nuit par le même Anselme, qui me demande pour commencer : «Est-ce que tu peux faire ce petit film en quinze jours, pas un de plus ?»

Je réponds oui, et j’apprends alors qu’au cours d’une intersyndicale, un travailleur avait soulevé la question de l’image de marque moderniste, complètement mensongère, du trust Penarroya – et qu’il avait été immédiatement décidé de fabriquer un «outil» pour démonter cette image de marque.

Et voilà comment je suis devenu outilleur…

On a travaillé, Anselme et moi, quinze jours – et à la fin, quatre ou cinq nuits – et le film a commencé à circuler le 6 février.

Un film «inséré» est donc un film qui s’inscrit dans toute une série d’actions prévues de longue date.

Il prend place dans une sorte de front de lutte, à côté d’autres moyens d’action, pour remplir un rôle strictement déterminé, en fonction de la stratégie décidée par les travailleurs. En l’occurrence, il s’agissait d’une stratégie nettement offensive, de dénonciation, d’accusation et, bien entendu, d’arrêt indéfini de la production.

Rien à voir, comme vous voyez, avec un discours général sur la Révolution ou tel autre «gros concept».

Que visait-il comme objectif, précisément ?

Il s’inscrivait dans la dénonciation générale des conditions de travail à Penarroya, mais il visait plus précisément son image de marque en dévoilant «les deux visages du trust».

C’était comme un marteau tapant toujours sur le même clou : chacune des cinq parties du «Dossier» commençait et se terminait de la même façon : au début, une phrase grotesque du baron Guy de Rothschild (patron de la banque du même nom et par conséquent de Penarroya, via la Compagnie du Nord), parlant fièrement des « locaux clairs et modernes » du siège de Penarroya à Paris – et à la fin, la voix coupante d’Anselme reprenant : «Et voilà ce que le baron Guy de Rothschild appelle «des locaux clairs et modernes !» Entre-temps on avait vu des usines du XIX° siècle où on cassait encore à la hache les batteries de voiture récupérées, où les travailleurs (immigrés) étaient logés dans des baraquements directement à côté des fours à plomb, etc. Ce n’était pas subtil, mais c’était frappant.

Un an plus tard – on est en 1973 – vous récidivez avec ce que vous appelez le «film-LIP», c’est-à-dire :  Non au démantèlement, Non aux licenciements.

Et de façon également inattendue. Au départ, les ouvriers de LIP, ou plus exactement l’intersyndicale CGT-CFDT, demande simplement aux Cahiers de Mai de les aider à faire une chose qu’ils ne savent pas faire, c’est-à-dire un journal de grève.

Un journal de grève, ce n’est pas seulement un bulletin d’information : c’est une synthèse de ce qui a été dit à l’Assemblée Générale, c’est ce sur quoi on est en principe d’accord, c’est donc une plate-forme unitaire renouvelée jour après jour. L’unité, je ne vais pas vous faire une leçon de politique, c’est la force principale des travailleurs. Il n’y a donc rien de plus important, dans une grève, que de nourrir l’unité, d’approfondir l’unité, de maintenir l’unité à tout prix. Bref, c’est pour ça qu’on a appelé ce journal LIP Unité.

En quoi est-ce que c’était si difficile à faire ?

Demandez aux gens qui font les synthèses instantanées à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, c’est tuant. En plus, c’est très technique, ça ne s’improvise pas. Croyez-moi, j’ai essayé, car c’était l’essentiel de notre boulot aux Cahiers, et… c’est pas évident ! Donc, tout a commencé comme ça : une petite équipe des Cahiers, conduite par Anselme lui-même, a été s’installer à Besançon pour renforcer la Commission Popularisation (les grévistes de LIP étaient organisés en commissions de travail, dont la plus importante était la Commission Popularisation) et faire LIP Unité.

Comment est-ce qu’on passe de là au film ? Vous n’avez quand même pas proposé de faire un journal filmé !

Non, je ne connaissais pas encore Jonas Mekas !

Je vous disais que ç’avait été inattendu : pas pour moi, mais pour les LIP. Pour comprendre, il faut bien voir ce qu’était la stratégie des LIP. Piaget (l’animateur de la grève) le répète sur tous les tons dans le film : «On ne gagnera pas cette lutte contre le puissant trust suisse Ebauches SA, le patronat français et le gouvernement, sans développer un vaste mouvement de soutien. L’axe stratégique de la lutte, c’est la popularisation !» D’où l’importance de cette fameuse Commission Popularisation.

Dès le début de leur grève, c’est-à-dire depuis avril 73, les LIP misent donc sur la popularisation. Et, on peut le dire comme ça : quelque chose a coincé au troisième mois, c’est-à-dire courant juillet. Pourquoi ? Parce que les LIP n’avaient pas bien pris la mesure de cette popularisation, ils n’avaient pas vu qu’il leur faudrait envoyer de plus en plus de délégations, et surtout, de plus en plus loin. C’est-à-dire au-delà des limites de la ville, de la région, et même de la France !

Or, tant que ces délégations n’allaient pas trop loin, les travailleurs pouvaient faire l’aller-retour dans la journée, ou même dans la matinée. Les militants expérimentés qui conduisaient ces délégations pouvaient cumuler cette activité de popularisation et leur travail dans l’usine, c’est-à-dire, essentiellement, dans les commissions de travail où ils étaient inscrits et qu’ils animaient.

Quand les délégations ont dû partir pour plusieurs jours, on s’est retrouvé devant le problème suivant : soit les militants expérimentés, capables de faire une prise de parole, d’ouvrir un débat, partaient en popularisation, et le travail dans l’usine en souffrait – soit ils restaient à leur poste dans l’usine, et les délégations étaient moins fortes, donc moins efficaces. C’est comme ça qu’est née l’idée de «mettre Piaget en boîte», de façon à ce que toutes les délégations puissent partir, en quelque sorte, avec le meilleur militant, celui qui parlait le mieux, celui qui exprimait le mieux le point de vue collectif.

Fin juillet donc, on m’a demandé de faire un film centré sur Piaget. C’est-à-dire : Piaget, symboliquement entouré de délégués CGT et de membres du Comité d’Action, expliquant tous les aspects de la lutte au cours d’une visite bidon de l’usine. C’était affreusement lourd comme dispositif, mais c’est tout ce qu’on a trouvé. Là encore, le film a été bouclé en quinze jours, copie standard comprise.

A la fin de la grève, on avait tiré pas loin de cent copies et on a calculé que le film avait été vu par plus de trois cent mille personnes.

Il y a eu un second film-LIP, je crois…

Oui, raté. C’est-à-dire pas inséré, qui ne s’inscrivait pas clairement dans une stratégie. Et qui est venu trop tard, en plus ! Qui n’a donc jamais servi. On en a tiré une seule copie, que j’ai encore : elle est neuve !

Autrement dit : pas de film militant qui ne soit pas «inséré»…

C’est le sens que je donne au film «militant», on peut avoir d’autres idées.

Alors justement, quelle est l’idée qui a présidé au long métrage que vous avez fait après la grève : LIP ou le Goût du Collectif ?

L’idée de départ est amusante, la suite beaucoup moins. J’en garde le sentiment d’une sorte de cauchemar.

La seule chose amusante, c’est qu’Anselme (car c’est parti de lui) m’a présenté son projet comme un film de pirates ! Vous vous souvenez qu’au début de la grève, les LIP avait «mis en sûreté», comme ils disaient, l’équivalent d’un million d’euros de montres terminées et d’ébauches. C’était leur «trésor de guerre», ce qui devait leur permettre de tenir, de se faire des salaires, grâce aux ventes sauvages de ces montres, etc. Le patronat était fou. Occuper une usine, même la remettre en route, passe encore. Mais faire main basse sur le stock – et le vendre ! – c’était la révolution. Atteinte au droit de propriété, il n’y a rien de pire !

Bref, la grève finie, Anselme me parle un jour des ouvriers de LIP, de leur «trésor» et de leur «place forte» de Palente (leur usine), comme d’une bande de pirates à l’île de la Tortue ! Et qu’on devrait faire un film racontant l’aventure des LIP du début à la fin. C’est-à-dire, si on enlève toute cette sauce à la tortue, un film militant classique surune grève – et non plus dans une grève, inséré dans une grève.

LIP ou le Goût du Collectif est donc un film militant comme la plupart des films militants, c’est-à-dire l’histoire d’une lutte, la célébration de la lutte héroïque des LIP.

Je vous trouve un peu dur. Le film a quand même la grande qualité de faire entendre ces travailleurs de LIP, c’est-à-dire une parole qu’on n’entend jamais, une intelligence différente, une vision du monde différente…

C’est vrai, on entend quelque chose d’autre. Pas assez, par exemple, on n’entend pas assez les femmes. Mais on entend suffisamment le point de vue ouvrier pour que la position bourgeoise qui est présentée en face, les discours de Charbonnel, ministre de l’Industrie, du Médiateur Giraud ou du Premier ministre Messmer, paraissent complètement malhonnêtes, entièrement dictés par leurs intérêts de classe et pas du tout par leur souci affiché de «sauver LIP». C’est pour ça que le film, bien que coproduit par l’INA, n’est jamais passé à la télé.

Et pourquoi ce film a-t-il été un cauchemar ?

Je veux bien vous répondre, mais j’ai peur qu’on tombe dans la politique… enfin, vous couperez.

Pourquoi un cauchemar ? D’abord pour des conneries, parce que nous avons été incapables de travailler avec d’autres cinéastes et vidéastes militants et vice versa. Je ne sais plus exactement ce qui s’est passé, mais la dream team qu’Anselme avait réunie au cours de l’été 74 pour faire ce «grand film» a très vite éclaté, et je me suis retrouvé seul avec ces monceaux d’archives à monter.

Mais le vrai cauchemar, c’est qu’entre 1974 et 1976 (quand j’ai fini le film), il y a eu ce qu’on a appelé le «recentrage» de la CFDT. L’esprit de LIP, «le goût du collectif», c’est-à-dire la démocratie syndicale, les pratiques collectives qui s’étaient développées depuis la fin des années 60, toutes ces avancées effectivement socialistes que les travailleurs avaient produites ou retrouvées et qui avaient culminé, en France, avec le conflit LIP, n’étaient plus du tout à l’ordre du jour. Plus le temps passait et plus j’avais l’impression d’aller à contre courant. En dehors de Piaget, la commission qui était censée piloter le projet – en fait, la section CFDT – était de plus en plus réticente. Le titre du film – LIP ou le Goût du Collectif – a fini par leur sembler ridicule ! Il n’était plus question que de syndicalisme «responsable» et de «solution politique». Le Programme Commun de gouvernement, entre le PS, le PC et les Radicaux de Gauche, devait nous mener à la victoire électorale. Et tout serait résolu par la voie des réformes politiques… comme on l’a bien vu, mais pas exactement dans le sens prévu, avec la victoire de Mitterand en 1981 !

J’ai ramé comme ça pendant deux ans et j’en garde, comme je vous disais, un très mauvais souvenir. A la fois parce que je peinais à faire ce film – qui n’était ni un film inséré, ni vraiment du cinéma – et parce que, à mon tout petit niveau, en marge, de biais, je subissais moi aussi le recentrage syndical, c’est-à-dire, pour parler clair, le recul des luttes, le repli sur des pratiques qui n’étaient pas les nôtres, l’adhésion à des discours sans contenu qui ne pouvaient mener qu’à l’impuissance.

Je sais qu’il est facile d’être clairvoyant après coup. A l’époque, la social-démocratie était encore une option crédible, c’était même la seule option crédible à gauche. Tout n’est pas à mettre à son crédit, mais elle a quand même amélioré les conditions de vie de la plupart des gens. Du moins chez nous. Je parle des années 30 à 60, c’est-à-dire une époque où, sous l’influence de Keynes, le système capitaliste mondial a plutôt misé sur la régulation que sur la libéralisation à tout va. J’admets donc qu’on ait pu se dire : ça va continuer avec le PS et ses alliés.

D’accord, mais même si c’est plus facile à dire aujourd’hui, on pouvait voir distinctement, même à l’époque, les limites de ce cycle vertueux et ce qui se cachait en dessous. Surtout si on observait les choses à partir d’une chaîne de montage ou d’un foyer d’étudiants. C’est, je crois, le premier sens de mai 68 : la révolte contre l’imbécillité patente de la société de consommation et la logique froidement criminelle du profit.

Mais le plus extraordinaire, la surprise dont je parlais tout à l’heure, c’est que le mouvement de mai et le mouvement ouvrier qui l’a précédé et suivi, ont spontanément inventé des formes de réflexion collective, en prise directe sur la vie, à l’opposé des discours creux de la classe politique, à mille lieues des incantations actuelles du PS sur la démocratie et autres «valeurs» de gauche !

Je n’étais pas à Paris en 68, mais j’ai passé des mois à Besançon entre 73 et 76. Et je peux vous dire qu’on parlait de tout, de la vie sexuelle aux conditions de travail. Le débat politique, malgré le dogmatisme et le jargon de certains groupes, portait sur les vrais contenus de la vie. C’est ce qui était tellement mobilisateur. Alors, abandonner tout ça pour un «programme», qu’on nous a vendu comme une lessive, par campagne d’affichage, avant même de l’imprimer, c’était dur à avaler !

Je ne dis pas que toutes ces discussions, toutes ces relations qui se nouaient, étaient suffisantes : on vivait encore largement au XIX° siècle, on n’a jamais réussi à penser les nouvelles formes de production et les nouvelles aliénations qui se développaient et qui se sont surtout développées après. Mais il y avait là ce mélange de sérieux, de plaisir, de goût du réel, de confiance, qui fait qu’on apprend, qu’on avance, qu’on a envie d’aller plus loin. Aucune «méthode», puisqu’on en parle tant aujourd’hui, ne peut remplacer ça.

En somme, la social-démocratie a récupéré le mouvement, mais elle s’est empressée de vider le bébé avec l’eau du bain, et maintenant elle est bien embêtée.

Et nous aussi…

Comment est-ce qu’on continue ?

Les films militants (extrait de l’entretien avec Dominique Dubosc, par Christine Martin – La Lettre du Cinéma – octobre 2004)

(version intégrale : lettre-du-cinema-oct2004.pdf