Apropos des marionettes

A propos de la scène des marionnettes dans le film


Plusieurs personnes se sont dites gênées par la scène des marionnettes dans le film. Certaines y ont vu une manipulation de la part du marionnettiste : Nidal al-Khatib serait un agitateur d’enfants, un semeur de violence, etc… Et le Nouvel Observateur, dans un article très orienté politiquement, en conclut tout bonnement que mon film « ne fait qu’ajouter la haine à la haine et la terreur à la terreur » !

Ces réactions sont heureusement très minoritaires. Tous les grands journaux français (en dehors du Nouvel Observateur) ont noté au contraire la sérénité de mon propos. Aucun n’y a vu de la haine et encore moins de l’incitation à la haine, mais plutôt, comme dans tous mes films, une célébration de la vie.

La scène de la mort du grand père elle-même, si on la considère du point de vue de ses effets sur les enfants, est également tournée vers la vie. Il n’y a pas d’écolier en Palestine qui n’ait été personnellement témoin d’une scène de violence extrême. Ils ont vu leurs pères et leurs oncles arrêtés, ligotés, aveuglés, battus. Chacun a eu au moins un camarade ou un membre de sa famille tué. Les Palestiniens sont entièrement soumis à une superpuissance contre laquelle ils ne peuvent rien. Cette situation terrifiante, que les adultes eux-mêmes ont souvent du mal à supporter, plonge beaucoup d’enfants dans une terreur incontrôlable. Les marionnettes ne sont pas une « solution » bien sûr, mais elles permettent du moins, le temps d’une représentation, de porter les choses sur un plan symbolique. C’est-à-dire sur un plan où les choses peuvent être contrôlées. Où tout est jeux de mots et où les actes ne sont plus qu’un jeu. Où ce n’est plus le soldat qui tue vraiment, mais une marionnette-soldat qui « tue » une autre marionnette. Où l’institutrice peut parler plus haut que la marionnette. Et où tout finit bien : le petit héros (Botto) n’est jamais tué et, dans certaines versions de la pièce, Sido (le grand-père) ressuscite à la fin.

Retrouver (une certaine) confiance dans la vie, dans la puissance des parents et des maîtres pour vous protéger et vous guider, ne me semble pas de nature à susciter le désespoir et la violence qui l’accompagne parfois, bien au contraire.
A moins que le discours des maîtres ne soit idéologiquement orienté vers cette forme de violence. Mais ce n’est pas le cas ici. Il n’y a aucun « barbu » dans la pièce, ni religieux, ni politique (extrémiste).
Nidal al-Khatib est ce qu’on appelle un militant laïc modéré.

Sans doute sa pièce a-t-elle une coloration nationaliste (eh oui, les Palestiniens réclament un état à côté de l’état d’Israël), mais elle reste une pièce pour enfants, centrée sur un petit garçon comme les autres, qui dit et fait beaucoup de bêtises, qui est triste de la mort de son grand-père, mais ne perd pas confiance.

La haine et la violence que le Nouvel Observateur et certains spectateurs ont vues dans les marionnettes de Nidal (et par suite, dans mon film tout entier) ne leur cachent-elles pas une autre violence qu’ils ne veulent pas voir ?
Comme l’écrivait Amira Hass à l’époque où je tournais ce film (voir son article sur la page de « Réminiscences d’un voyage en Palestine ») : « Ils ne voient pas l’Occupation ».
N’est-ce pas cela, au fond, qui gêne ici : que l’occupation israélienne et sa violence quotidienne soit si visible ?

L’article du Nouvel Observateur se termine, naturellement, sur une accusation d’antisémitisme. La marionnette que Nidal fabrique à la fin du film serait une caricature du Juif, tel qu’on le représentait « vers 1936, du côté de Berlin ».
A ce compte-là, Yasser Arafat serait antisémite par son physique même ! Oublierait-on que les Palestiniens sont des sémites comme les Juifs et vice versa ?
Le juge représenté par Nidal est un « méchant », non pas parce qu’il est juif, mais par sa fonction.
Là encore, curieusement, la scène du procès permet à certains de ne pas voir la violence réelle de ces procédures de « détention administrative », par lesquelles Israël arrête sans jugement et envoie des milliers de Palestiniens dans le camp de concentration d’Ansar III (dans le sud du Néguev) ou dans des prisons qui ne valent pas mieux.

Dominique Dubosc