Note du réalisateur

1) Une chance à courir

A l’origine de ce film comme de la plupart de mes films, il y a une occasion, c’est-à-dire une chance à courir : ici, le voyage que devait effectuer le dessinateur Daniel Maja en Palestine, pour relancer un vieux projet d’écoles d’illustration soutenu par le Consulat de France à Jérusalem.
Le moment était curieusement choisi, étant donné que toutes les villes de Cisjordanie étaient sous couvre-feu et que la «mission Maja» avait donc peu de chances d’aboutir. Mais, comme on dit, ce n’était pas mon problème.
La chance que je voyais, moi, n’avait pas grand chose à voir avec cette mission et beaucoup plus avec les dessins de Maja, avec son surréalisme spontané, avec sa façon d’installer l’impossible ou l’impensable au cœur de la réalité.
Il m’a semblé que la confrontation de nos regards, l’alternance entre images filmées et dessins pourrait établir par elle-même, sans l’aide d’aucun commentaire, que le réel s’étend toujours sur plusieurs niveaux, qu’il est un voyage permanent entre ces niveaux.
C’est ce voyage vertical (entre le conscient et l’inconscient, le visible et l’invisible) plutôt que le voyage horizontal sur les routes de Palestine, qui constitue le vrai sujet du film, bien que l’ordre des séquences corresponde à peu près à celui de nos déplacements sur le terrain.


2) Le bruit de fond

Même si les dessins de Maja et les images que j’ai filmées «parlent» à différents niveaux, il est apparu nécessaire au montage d’ajouter, dans la plupart des séquences, un arrière-plan sonore, quelque chose qui remue derrière ou en dessous : le bruit, en quelque sorte, de la partie immergée de l’image, comme on dit la partie immergée de l’iceberg.
Ce bruit de fond est constitué de sons venus d’ailleurs, de bruits de machines, de vent, d’animaux… qui soufflent obscurément sous les sons contenus dans l’image, qui évoquent quelque chose de plus profond, qui n’est pas limité à ce lieu ou à cette histoire.


A certains égards, on peut dire que la bande-son constitue le fil directeur du film, dans la mesure où les images sont discontinues et souvent entrecoupées de noirs, alors que le son, le souffle du réel, n’arrête jamais.
En tout cas, on ne peut suivre le film que si la bande son est toujours présente.


3) Les noirs

L’autre décision importante prise au montage est l’utilisation de «noirs» qui suivent ou encadrent certains plans ou groupes de plans.
C’est un procédé qui s’est imposé de lui-même dans le prologue du film, quand des images du voyage me reviennent, associées à des couleurs. J’énumère ces images, mais je ne les montre pas. Elles me reviennent dans le noir, entre deux plans de la mer vue de ma chambre d’hôtel à Gaza.
C’est ainsi que certains souvenirs remontent quelquefois, je regarde par la fenêtre sans penser à rien et «ça me revient». Mais il est bien rare que ces souvenirs prennent la forme de séquences complètes, parfaitement linéaires. Et même quand un souvenir prend une forme séquentielle, il reste plus ou moins troué.
J’ai donc matérialisé ces trous par des noirs. Pas des fondus au noir : des noirs cut. Des disparitions et des apparitions. Des solutions de continuité, des ellipses, des transitions si l’on veut, mais surtout l’étonnant, le merveilleux retour du réel. La bienheureuse évidence de la vie, simplifiée par l’horreur.

Dominique Dubosc