Traces de Vies
14èmes Rencontres du film documentaire
du 22 au 28 novembre
Clermont-Ferrand / Vic le Comte
PALMARÈS 2004
Le Grand Prix Traces de Vies
® Réminiscences d’un voyage en Palestine de Dominique Dubosc (prod. Kinofilm)
® Metzer entre les murs de Anne Abitbol (prod. L&A Films)
Discours du jury
Pour dévoiler le réel, les sentiers de la création sont multiples. Nous ne suggérons pas de recettes, pas de méthodes ou de style unique.
Dominique Dubosc, dans “Réminiscences d’un voyage en Palestine” et Anna Abitbol, dans “Metzer entre les murs”, se placent, par des démarches artistiques différentes, en apparence opposées, au cœur de cet enjeu historique qu’est la tragédie israélo-palestinienne, et ils convergent.
Tourné dans un kibboutz frontalier, « Metzer entre les murs » ordonne avec rigueur des images et des témoignages, choisis pour leur capacité à nous faire avancer dans la complexité des problèmes et à mettre en lumière l’irrationalité de conduite guerrière comme la construction d’un mur. Le discours, argumenté et efficace, fait appel à notre raison et à notre jugement moral.
Tourné dans les différents sites palestiniens, “Réminiscences d’un voyage en Palestine” s’adresse avant tout à notre sensibilité, à notre imaginaire. Il nous introduit à la réalité dans une totale absence de mots, par la force des tableaux, tantôt prolongés, tantôt fugaces, dans lesquels agissent ensemble des couleurs et des formes, des sons et des silences. Les ciels, les lumières jouent avec des monstres fantastiques, et pourtant bien réels. Alternant avec le délire terrifiants des hauts-parleurs, des tirs, des chenilles, le crissements d’un crayon de dessinateur affirme, en pleine désolation barbare, la capacité de l’art à briser les barreaux de toute prison matérielle et mentale.
Ainsi convergent, à travers ces deux films, la logique et la poésie. Le mot “rêve” y est récurrent. Ils dévoilent un au-delà de l’horreur. Dans sa présentation, Dominique Dubosc cite ces mots de René Char “Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté”. Permettez-nous d’ajouter ce vers de Paul Eluard : “L’homme en proie à la paix se couronne d’espoir”.
En considération de la convergences de leurs démarches artistiques et humanistes, le grand prix Traces de vies, Prix du Conseil Général du Puy de Dôme, est attribué conjointement à Anna Abitbol pour “Metzer entre les murs” et à Dominique Dubosc pour “Réminiscences d’un voyage en Palestine”.
ou comment faire un film en Palestine
(et ailleurs)
C’était en décembre 2000 à Hébron. Il pleuvait depuis trois semaines, le centre ville était inondé, les boutiques fermaient leurs portes de fer souvent criblées de balles à la tombée du jour. Personne ne s’attardait dans les rues.
Dans le Grand hôtel, l’unique employé m’a donné la clé d’une chambre. La chambre était glacée. J’ai cherché une couverture dans les couloirs déserts. L’employé avait disparu. J’ai cru être seul. Au petit matin, dans le restaurant sans serveurs, nous étions pourtant deux.
L’autre client était un réalisateur de la télévision suisse romande en repérage, ou plutôt en quête d’une idée. Il demandait : comment parler d’un sujet dont tout le monde a déjà parlé ?
La réponse était simple (je l’ai retrouvée récemment dans les Notes sur le Cinématographe de Robert Bresson) :
Tournage. S’en tenir uniquement à des impressions, à des sensations. Pas d’intervention de l’intelligence étrangère à ces impressions et sensations.
C’est vrai, l’intelligence est une étrangère, elle voyage mal, voit peu, comprend de travers, intervient à tout propos. Mieux vaudrait s’en tenir à nos impressions et nos sensations.
Mais c’est vite dit. Il y a aussi les fausses impressions. Et comment attraper une sensation ? Il y aurait eu beaucoup de choses à dire, auxquelles je n’ai pas pensé. Il faisait trop froid.
Mais je reste convaincu que Bresson a raison. Mille fois.
Si on savait comment faire.