Réminiscences d’un voyage en Palestine
de Dominique Dubosc
Projeté le 1er avril 2004 au Centre Sakakini de Ramallah, Remembering Palestine relève moins du domaine du conscient que de celui de l’inconscient. C’est un film sombre, plein d’images terribles, comme les visions qui hantent nos rêves et qui révèlent nos sentiments réprimés et nos peurs les mieux cachées.
Cette impression de rêve tient également à ce qu’il n’y a presque pas de narration au sens habituel, pas de mots, pas de discours auquel raccrocher les images selon une certaine logique ou dans un certain ordre. Les « plans » du film sont plutôt liés entre eux par association, c’est-à-dire montés en rapport ou en réaction les uns avec les autres.
Le très court récit qui ouvre le film est davantage fait pour « obscurcir » que pour éclairer ce que nous allons voir : pour placer ce qui suit dans l’ombre de la mémoire et non dans la « clarté » de la raison. Ce n’est pas un récit au sens classique du terme, il évoque plutôt la voix de Derek Jarman dans Blue. C’est une voix presque hallucinée, venue de l’inconscient, et qui ne parle… que de couleurs : couleurs qui deviennent les métaphores des sentiments que la Palestine évoque chez le cinéaste.
Les images se déploient ensuite avec vigueur, comme si la mémoire inconsciente de l’auteur forçait son passage vers l’écran : Dominique Dubosc ne semble pas tant préoccupé de recréer (raconter) le passé que de lutter avec lui, de trouver un accommodement avec lui.
En ce sens d’ailleurs, le propos du film me semble moins bien traduit par son titre « Remembering Palestine » (Je me souviens de la Palestine) que par son sous-titre (« Réminiscences d’un voyage en Palestine »), car ce que nous voyons surtout, c’est cette évidence du souvenir, débridé, libéré, désordonné, qui peuple nos rêves : c’est le souvenir lui-même remontant à la surface.
L’économie inconsciente du film travaille dans ce désordre, en faisant appel aux terreurs qui sont en nous tous. Que je les aie vécues ou non, que la victime soit d’une nationalité ou d’une autre, d’une religion ou d’une autre n’a plus guère d’importance. Il y a un moment, dans la partie intitulée « Paysage après l’incursion », où j’ai eu l’impression d’assister à un film sur les atrocités nazies. C’est le moment où, sur un arrière-plan de bâtiments détruits, dans le silence et le vide, un homme traverse le cadre. La façon dont il marche, toute son apparence, disent qu’il n’est pas dans son état normal. J’ai spontanément pensé que c’était un Juif rescapé de l’Holocauste. Puis j’ai vu qu’on était à Gaza.
Le contraste entre Ramallah et Gaza m’a particulièrement frappé. Autant Gaza, malgré les bombes et les morts, reste intime et chaleureuse, autant Ramallah est au contraire froide et réservée. Cela correspond à mon propre sentiment : je trouve Gaza plus humaine et chaleureuse et bien plus charnelle que Ramallah, qui me semble snobe et distante. Quand j’ai posé la question au réalisateur, il m’a répondu simplement que c’est comme ça qu’il l’avait ressenti. Autrement dit, que c’est ce que son expérience d’ensemble des lieux et des gens lui ont fait sentir.
Remembering Palestine est un film fort qui nous entraîne en douceur, poétiquement, dans un monde d’horreur ou dans l’horreur du monde. Ce n’est pas un film fait pour expliquer la spécificité de la question palestinienne. C’est plutôt le genre de film qui permet (et en particulier au Palestinien écrasé et terrorisé) de s’inscrire dans l’expérience personnelle et secrète de la terreur, qui est je crois, à des degrés divers, une expérience universelle.
Il est peut-être plus utile après tout de travailler sur l’inconscient des gens, pour leur faire éprouver ce que c’est que d’être Palestinien en ce moment, que sur le conscient. Surtout quand on pense au peu d’effet qu’a eu la « conscience du monde » jusqu’à présent pour changer nos perspectives de vie.
Sobhi al-Zobaidi
Cinéaste palestinien